samedi 28 octobre 2023

RIEN VIRGULE en concert le 28/09/2023 au Périscope - Lyon

 

 

Rien Virgule :

Anne Careil : voix, synthétiseur
Mathias Pontevia : batterie horizontale
Manuel Duval : synthétiseurs horizontaux

 

J'avais déjà été sérieusement secoué par l'inclassable pop électronique lente et tenaillante de Rien Virgule lors d'un concert à Grrrnd Zero, en 2022, qui m'avait semblé être une cérémonie unique, comme si le trio nous avait offert là quelque chose de sorti de nulle-part, qu'ils ne reproduiraient plus jamais. L'album était pourtant là, La Consolation des Violettes, que je n'osais pas vraiment réécouter.

Et puis, lors d'un concert gratuit et ayant visiblement charmé les mélomanes ou simples passants au Périscope il y a pile un mois, j'ai pu entendre ce que les livres et les témoignages répètent depuis toujours, mais arrivent mal à expliquer : pour un chaman, l'expérience des limites, c'est l'ordinaire. Ou
en tout cas c'est "juste" le fonctionnement normal des choses, du rituel.

Dès les premières secondes, Rien Virgule ravit, téléporte, balaie la réalité d'un revers de tambour, et explore les visions passagères et terribles d'un autre temps, d'un autre lieu, lointain. Est-ce si facile pour eux ? Sont-ils si à l'aise avec le tourment exceptionnel, les confins extrêmes du dicible que contient leur musique ? Pas sûr, et pas sûr que ça ait une importance.


Mais on est très loin, ici, des recherches plus ou moins profondes ou superficielles des musiques dites "sombres", du métal extrême ou des musiques rituelles de tradition indus ou gothique. Plus proche d'une forme de théâtre musical par nécessité, un théâtre sans langage et sans drame, une fois encore
avec la sensation d'une cérémonie, mais sans dogme, sans les répétitions, sans l'approche codifiée. La lenteur met ici en relief les sommets abrupts, les crevasses et les paréidolies des bruits minéraux, puis parfois, on navigue à vue dans un brouillard stagnant d'un morceau doomjazz (sans doute "Radio Embryon"), où Manuel Duval joue une sorte de trompe-marine-ventoline électronique - un instrument de la marque russe Soma, me souffle un spectateur. Un instrument rare, très cher et analogique... 



Assister à un concert aussi singulier donne l'impression d'être au premier rang dans une salle glaciale de 1982 et de voir débarquer Cocteau Twins, c'est dire le choc ressenti devant la nature "autre" de ces sons. La différence, ici, est une dimension théâtrale bien moins affirmée, toute intériorisée et tout en concentration recueillie chez Rien Virgule, sans oublié l'aspect Cold Wave/Post-Punk quasiment absent chez les bordelais, au profit d'une Musique Lunaire qui semble tout devoir aux lieux inaccessibles et aux formes abruptes de la Nature. Une "Nature Autre", justement, pas forcément exotique ou étrange, mais perçue dans toute son étrangeté sublime, dans sa crudité inhospitalière peut-être, à la lumière de quelque astre de passage, comète ou fin du monde. Le résultat n'est pas tant solennel que troublant, voire dérangeant, comme un tableau surréaliste à la fois organique et imprégné de matières métalliques, comme une beauté d'après la laideur, juchée sur l'immense dépotoir d'une spiritualité humaine corrompue et occultée - plus qu'occulte. C'est un peu ce que je ressens dans cette confusion entre chaud-froid que procure la musique d'Anne, Mathias et Manuel, entre froideur industrielle et l'incontestable appel sensible du chant et de certaines harmonies. Il y a aussi quelque chose d'une prière, mais ici s'arrête humblement mon acuité et ma capacité à évoquer.

Ailleurs, les claviers à l'unisson semblent former des blocs de sons aux airs d'harmoniums possédés, évoquant d'autres Bordelais magiciens, qui manquent cruellement à la scène depuis quelques années : Radikal Satan. Dans ces moments maximalistes, Rien Virgule semble soudain dresser une cathédrale, ou plutôt se souvenir brutalement du sentiment de voir une cathédrale, face à une immense structure rocheuse sans nom. C'est un château de vampire, mais nous sommes le vampire, et l'immortalité pèse de son fardeau infini sur notre cœur et nos poumons.

Mais ce qui déstabilise et subjugue, ici, c'est qu'aucun des codes de l'épouvante n'est employé, même les crescendos sont délaissés, et pourtant, le charme opère, et c'est le cas chez au moins une vingtaine de personnes dans le public (qui dépasse les 150 je pense). Aucun crescendo d'aucune sorte ne
vient nous offrir un raccourci pour les révélations de ces chansons d'outre-monde. Aucun effet n'est ménagé, à aucun moment : il s'agit de se jeter à l'eau sans y goûter, et il s'avère qu'on flotte, c'est que la sainteté nous recrache et que la fragilité de la vie élit encore domicile dans notre corps, radeau isolé. Aucune rame, aucun gouvernail, aucune dynamique éprouvée qui nous ferait rentrer en territoire dreampop ou même post-indus - juste la présence lovecraftienne des sons. Ces montagnes vivantes qui feraient de ce voyage ballotté un cauchemar, s'il n'y avait la voix. Cette voix "à l'échelle", minuscule et intimidée devant l'immensité des montagnes et des abîmes.

 

Costumes créés par Anne Careil pour la Compagnie Andréa Cavale

Volontairement en retrait, autant par la mise en son que par les moments instrumentaux. Sans elle, sans l'empathie qu'on forme avec sa ferveur que je qualifierait de mystique, on serait dans l'expérimental pur. Avec elle, on devient tout simplement l'hôte d'une (très) rugueuse séance de guérison hallucinogène, on est attiré à la fois par la beauté lumineuse de cette voix, et par l'étrangeté poétique et obsédante de la musique, qui semble peindre depuis la nuit des temps les falaises d'un ravin brûlant et éternellement gelé à la fois.

Dernier titre d'un concert forcément violemment trop court, qui suscite l'appétit de vertiges nouveaux : une basse-racines noueuse sert de soubassement au déploiement d'ailes dantesques. L'effroi et l'extase sont déclarés. Très, très, grand groupe, immense musique, incroyables concerts.

Au fil du temps, la conviction s'est affermie : eut-il été sorti en 2015, La Consolation des Violettes aurait été nécessaire parmi les 150 albums du voyage du livre "Rock Psychédélique". Il faudra en écrire une suite... Ou pas : il est toujours agréable d'entendre et de constater que, à rebours du temps figé et numéroté des anthologies, l'histoire continue...



https://larepubliquedesgranges.bandcamp.com/album/la-consolation-des-violettes

 

La Compagnie Andréa Cavale (pièces de théâtre mises en musique par Manuel de Rien Virgule) :

https://annecareil.jimdofree.com/compagnie-andr%C3%A9a-cavale/


samedi 17 avril 2021

Grand Veymont : notes sur leurs deux disques et une demi-douzaine de concerts, à Lyon, entre 2017 et 2019.

 

Les sentiments évoqués par la musique de Grand Veymont semblent de plus en plus ambigus à mesure de leur progression... Il y avait une certaine exaltation tranquille dans les pleins et déliés du premier EP (éponyme ou appelé Les Rapides Bleus), et parfois une nostalgie encore assez identifiable comme telle. Sur le premier album La Route du Vertige, et donc sur les concerts donnés par le groupe depuis le début de l’année 2019, l’aspect atmosphérique du groupe a complètement détourné les émotions provoquées par leur musique de tout repère trop évident. S’agit-il de torpeur, d’un mal du pays aigu et intensément intériorisé, de simple recueillement poétisé, d’une mélancolie trop sauvage pour se dévoiler mais incapable de résister au plaisir d’un bain de lumière sous les potentiels yeux des mortels ? Il y a quelque chose des nymphes de la mythologie grecque dans la mise en place du groupe, qui évacue peut-être les dernières gouttes d’humeur dionysiaque qui subsistaient dans la pop volontiers biscornue des groupes auxquels on pourrait les affilier (de loin) : Stereolab, Claude Lombard, Broadcast, mais surtout Pram. Plus français et plus pudique que tous ceux-ci, Grand Veymont se cache derrière un imposant massif rocheux de densité orchestrale (via les nappes d’orgue) et de beauté des délassements sonores, à la fois organiques et presque savants dans leur justesse et leur perpétuelle mesure. Prenez les mêmes notes et rajoutez-y un soupçon de phasing ou de grésillement chimique, voire de distorsion hypnagogique à la Boards of Canada, et vous auriez l’un des groupes de psyché les plus cosmiques qui soient, une sorte de Bardo Pond ayant troqué l’allégeance au dieu Guitare contre un amour des vieux orgues au son voluptueux – un amour résolument apollinien, donc. 

Mais Grand Veymont n’utilise presque pas d’effets, préférant rajouter des strates orchestrales au sein des nappes de claviers dans leurs versions scéniques. Ce qui pourrait, chez d’autres, être une sorte de manque, ou d’ennui, devient ici un prodigieux espace de rêverie et d’alignement des sens sur un rythme naturel, un peu comme certains ragas indiens.

 

 

Chez eux, ce sont les paroles qui rejoignent les images qui passent dans la musique, et non l’inverse. Toute la chanson française « de qualité » a pratiquement toujours fait le chemin dans l’autre sens, plaçant la licence poétique au-dessus de tout, sautant d’expression stéréotypée en calembours pour éviter de se mouiller dans l’océan musical, cet inconnu dompté avec parcimonie. Paradoxalement, c’est à un grand amateur de calembours et d’expressions argotiques toutes-faites (certes détournées) que l’on pense en prenant de plein fouet la grâce absolue du « Prunier Noir », aboutissement de l’album comme des concerts de Grand Veymont ; rien moins qu’Alain Bashung. Sans que cela s’explique par la musique ni par aucune connivence esthétique (et la nature des paroles place les deux artistes à des années-lumière l’un de l’autre), il y a une même perfection, une même évidence, une même grâce venue d’ailleurs qui prend au cœur à l’écoute des moments les plus poétiques du duo drômois et des couplets de « Bombez » (« que vais-je faire de cet abandon ? ») ou de l’album L’Imprudence de Bashung. Quelque chose qui est de l’ordre de la pensée pure traduite en mots, utilisant la musique non plus comme support à la poésie verbalisée et encore moins comme accompagnement, mais comme une sorte de courant électrique qui – sans qu’il s’agisse de « langage » – permette aux phrases de s’imprimer dans l’inconscient et d’y distiller leur sens sans que la sphère de l’interprétation n’y ait son mot à dire.

 

Il va de soi que pour que ce courant alternatif fonctionne et aille droit à nos cerveaux sans que l’intellect ne soit sollicité, la musique se doit d’être d’une grande puissance, et surtout de ne faire qu’un avec le son des mots, d’être indissociable de la mélodie. C’est le cas avec le chant étrangement hésitant et ciselé à la demi-syllabe près de Bashung – sur des paroles qui ne sont pas de lui – et ça l’est aussi, de façon différente, avec les mélopées apaisées et fondues dans le paysage de la chanteuse et claviériste Béatrice Morel-Journel. L’individualité semble s’estomper, seul subsiste l’écho ou le sentiment de méditations qui pourraient être celles d’un souvenir, d’une pensée où d’une voix off, mais qui ne semblent jamais émaner d’un narrateur en tant que tel. Ce tour de magie, qui nous plonge soudain au cœur d’une histoire dont on ne sait plus trop bien si on est le témoin, le narrateur ou le narré, est unique, et il n’a bien sûr pas d’équivalent chez Bashung. Mais lui comme Grand Veymont ont une façon bien à eux d’être intimistes et lunaires : c’est la même grâce qui touchait John Lennon lors qu’il soliloquait seul sur son arbre sur « Strawberry Fields Forever », c’est aussi sans doute celle qui a inspiré beaucoup de moments singuliers et inexplicables de l’art poétique au sens le plus large.

 Depuis, le duo a publié un nouvel album, Persistance et Changement :


 

 https://grandveymont.bandcamp.com/album/persistance-et-changement

samedi 20 avril 2019

King Gizzard & Mild High Club, Transbordeur, 2 mars 2018



Mild High Club.

L’association n’allait pas de soi : faire jouer Mild High Club, quatuor dont le leader Alex Brettin avait enregistré tout un album avec King Gizzard en 2017, juste avant les désormais stars Australiennes. Bien que leur collaboration ait donné lieu à Sketches of Brunswick East, l’un des albums les plus appréciés de King Gizzard, Mild High Club joue très nettement dans une cour plus apaisée et berçante, et surtout, pratiquement pas rock.

Le public semble unanimement s’amuser des volutes pastel du groupe, tout en les entendant de loin, comme un peu insignifiantes. Je suis pour ma part totalement sous le charme de cette pop jazzy gorgée d’harmonies louvoyantes et étranges, hantée par un chant lunaire et sous influence probablement herbacée. J’y entends beaucoup de réminiscences de musique brésilienne, de bossa mais aussi de pop psyché auriverde du genre Kassin ou Dmingus. J’ai du répéter cinq fois à mon voisin – sans rencontrer d’écho – qu’ils avaient, en ça, le mérite de battre le pavillon de l’hémisphère sud musical à une époque où la sensibilité bossa nova et jazz a disparu des radars pop. Mais en France on aime dire qu’une musique est d’ascenseur dès qu’elle semble un tant soit peu s’y prêter, ce qui n’empêche pas d’aimer quand l’ascenseur fait boite de nuit et troque l’ambiance cocktail pour le vulgaire. Bref, il faut saluer le courage de ce groupe de ne dénaturer en rien son style neurasthénico-sensuel, entre Pinback et Mac Demarco (en plus original), même sur une grosse scène. Et saluer celui de King Gizzard de s’acoquiner avec eux, quand bien même leur public, comme j’allais le découvrir, est essentiellement venu pour perdre des calories et céder à une hystérie rock désormais devenue un peu rare.




King Gizzard & The Lizzard Wizard

Avant d’en venir à la description du concert à proprement parler, quelques mots du phénomène King Gizzard, que d’aucuns auront cherché en vain dans mon livre (finalisé début 2015, ils auraient pu y figurer, mais n’avaient alors pas sorti d’album qui m’ait suffisamment convaincu). King Gizzard est un groupe qui m’a toujours posé problème, d’une façon similaire à Tame Impala. Je me suis toujours méfié des groupes qui font consensus, idée que je trouve antinomique avec le Rock. Qu’il soit dur ou alternant le mou et le power-rock rageur et télescopique comme ici, le consensus ne me plaît pas, il suscite ma méfiance, comme une histoire sans histoires, une scène trop californienne pour être vraie, une sitcom sans indispensable quotient de bûches pensantes et de mauvais rêves fabuleux. Mais il faut bien en parler, parce que ce consensus là a au moins ceci de bon : on peut encore être nombreux à être d’accord sur un groupe en 2019 (2018, là, en l’occurrence) pour de vraies raisons musicales, sans qu’il s’agisse d’un gros tube pop à la mode ni d’un 8645ème comeback amoureusement (beurk) mitonné par papy. Quand King Gizzard est arrivé en ville de son Australie natale l’an passé, donc, j’y croisais beaucoup de têtes connues, tous aux goûts différents, et un pote fan de Djent et de hard 70’s classique me fit remarquer qu’aucun autre groupe n’aurait pu rassembler de telles sensibilités, y compris les têtes de lard comme mézigue qui fuient les grandes salles et les affiches type festival. 



C’était le hold-up de 2017 : 5 albums très bons sortis dans l’année, une présence médiatique insistante, et un nom qui commence à s’imposer comme le successeur de Tame Impala au rang de groupe psyché le plus populaire, volant ainsi la vedette aux Thee Oh Sees (injustement, à mon avis de chieur certifié). C’est suspect, ça, ça sent l’esbroufe… Et en plus, ils sont jeunes ! Impardonnable en 2018. Trêve de roublardises, ce n’est pas tout à fait pour ça que je préfère Thee Oh Sees, c’est aussi un peu parce que le coup des deux batteurs est juste divinement réussi et justifié chez les californiens, au moins autant que superfétatoire et mécanique chez King Gizzard. Et musicalement, y’a pas photo, c’est chez la bande à John Dwyer que les australiens ont été chercher leur énergie roborative, pas du côté des influences de leurs compatriotes Tame Impala. Peut-être à cause de leurs inspirations, définitivement du côté britannique de la force, là où le groupe de Kevin Parker manifeste un plus grand appétit pour le lustre et la brillance des productions ricaines des 70’s. King Gizzard, eux, vont puiser dans l’autre grande mamelle du rock de cette inépuisable décennie : le rock prog, tendance épique voire héroïque, dompté par cette musique tellurique et labyrinthique, toute en grappe de sons têtus, agglomérats d’orgue et de guitare que l’on a bien retrouvé ce soir là sur la scène du Transbo. Le grand mérite de King Giz’ reste d’avoir amené le très grand public à une musique assez violente et prog sur les bords, et pour le coup vraiment psychédélique, à une époque où seule la mièvrerie mélodique semble payer.




Sur scène, le septette a de l’énergie à revendre, et sa mécanique est parfaitement huilée. Peut-être trop. Mêmes les chœurs troubles et grelottants sonnent un peu trop en place, vis à vis de l’énergie clairement hard rock de l’ensemble (et le public n’attend que ça, du hard rock ! même si beaucoup n’osent se l’avouer.). Les titres de leur album Flying Microtonal Banana (peut-être le plus apprécié) sont ceux qui recueillent le plus de hurlements approbateurs et de bras levés du public, qui braille même à tue-tête le gimmick de « Rattlesnake » dès l’ouverture du set. Tout le monde saute et pousse, sauf ceux qui sont là pour écouter, qui souffrent conséquemment de l’attitude d’un public qui n’a pas l’habitude des concerts punk ou métal, et qui croit « pogoter » alors qu’ils ne font, essentiellement, que parodier une mêlée ratée de Rugby. Pour ma part, je vais me percher sur les gradins dès la quatrième chanson, afin d’apprécier un minimum la musique délivrée par le groupe.

Les titres s’enchaînent sans quasiment aucun temps mort. Les longs rubans de riffs de Nonagon Infinity et de ses nombreuses variations succèdent aux ambiances plus étranges et orientalisantes de Polygondwanaland, tandis que les quelques tubes comme « Gamma Knife » rapprochent un peu plus le groupe d’une certaine culture métal, bien plus que du genre progressif. 



La guitare « microtonale » modifiée de Stu McKenzie, aux frettes supplémentaires rajoutées sur le manche pour obtenir des quarts de tons, et selon lui-même, des « notes secrètes », est tout simplement divine, sorte d’engin charmeur de serpent destiné à l’hydre aux cent têtes que de représentent les premiers rangs de la fosse, que je regarde désormais continuer de s’ébattre furieusement de loin. Les gens juchés sur les gradins eux aussi dansent et s’en donnent à cœur joie : pas de doute, King Gizzard est un groupe adulé ! Je remarque pour ma part que les morceaux les plus planants, mélancoliques, laissent la place à une certaine fadeur, voire à une certaine prévisibilité. Mais cela peut-être vu comme une respiration avant la reprise des tourbillons de claviers et riffs de guitares, striés de solos gorgés d’effets, le tout accompagné par des projections vidéo psychédéliques. Fini le temps des jeux d’eaux et de peinture sur vidéo-projecteur, il s’agit de peintures mouvantes abstraites et numériques, à la façon de presets Winamp. Ça n’a guère de charme, mais on comprend que cela distrait l’attention de ce qui se passe sur scène, car oui, le groupe reste très statique, concentré sur sa musique. Stu McKenzie à le mérite de refuser de se mettre en avant comme le chanteur-star, il est totalement impliqué dans son jeu et n’accapare aucunement l’attention. Au final un des tout meilleurs concerts psyché de la saison 2017-2018, bien que Thee Oh Sees reste largement indétrônable.


 

lundi 26 février 2018

KING GIZZARD - 3 dates en France


Le groupe australien King Gizzard, qui semble avoir définitivement pris le trône de groupe psyché le plus populaire du monde laissé vacant par leurs compatriotes Tame Impala (occupés à aborder d'autres styles), passera par la France au milieu de sa tournée Européenne le Week-End prochain !

Il s'agit sans doute, de tous les groupes estampillés psyché qui marchent en ce moment, de mon préféré avec Thee Oh Sees. Reste à voir s'ils arriveront à faire aussi bien que ces derniers sur scène, la barre est haute.

01 Mars - Paris, Bataclan
02 Mars - Lyon, Transbordeur
03 Mars - Lille, Aeronef








samedi 10 février 2018

Bear Bones, Lay Low, samedi 3 février, quelque part à Lyon







Il est plus de quatre heures du matin quand Bear Bones, Lay Low commence, d’abord tout en douceur, le stupéfiant crescendo qui sera son set live, dans ce lieu peu éclairé et où la fumée a déjà gommé contours et angles saillants. Ayant déjà vu l’artiste se produire dans un autre lieu secret de Lyon, au nom d’archipel, il y a quelques mois de ça, je savais qu’il fallait s’attendre à de spectaculaires variations d’intensités, et ce sans rupture véritable. En fait, Bear Bones, Lay Low s’arme de la puissance de feu à la fois patiente et paroxystique d’un set de techno la plus organique possible pour tisser une trame dont le grain sonore est tout le contraire d’un set de « musique de club » : ici, pas de séparation bien propre des aigus, medium et basses, tout concourt à la transe dans une fête qui fusionne boucles hypnotiques et parfois saccadés et ondulations revêches des sons de claviers, plus proche du brouhaha grisant du space rock que de ce qu’on imagine derrière l’expression « son de clavier ».


Dans l’underground, toute fusion de matière est permise et bienvenue, et le golem qui en résulte est parfois plus souple et naturel que le spectre du « vrai » rock psyché, perpétuellement ranimé à coup de sempiternelles guitares et de voix hirsutes. Chez Bear Bones, Lay Low, les coutures du corps du Frankenstein sont invisibles, et sa couleur moisie semble absolument invisible dans le mouvement de la danse qu’entraîne la musique. Sans forcément parler d’une absolue nouveauté, on sera bien en peine de déceler des influences dans la musique de Ernesto González, seul membre du projet Bear Bones Lay Low, et ancien claviériste et percussionniste du groupe de psyché Sylvester Anfang II, dont le nom résumait déjà une partie du programme brumeux et caverneux : une secte entre Amon Duul II pour la musique et le black metal pour l’imagerie.


Sans son ex-groupe, Ernesto construit des sets de longue montée d’intensité ininterrompus, les rythmes tribaux s’agrippant à la durée comme des plantes grimpantes, et les multiples samples à l’origine imperceptible (films ? instruments traditionnels ? fields recordings ?) s’offrant aux oreilles persistantes telles des grappes de gui. Le résultat conduit beaucoup de corps présents à s’agglutiner autour du monticule de machines d’Ernesto, et à former un cordon de rave party format réduit, ondulant au gré de très longues divagations cosmiques qui complètent cette trop dédaignée lignée des artistes psychédéliques ouverts sur la danse : Neu, Harmonia, AR & Machines, Can, Rovo, Caribou, Gong, King Gizzard, et bien sûr les pionniers de San Francisco, qui n’envisageaient pas de faire décoller leur public sans le faire remuer.


Si certains rares groupes ont réussi à cumuler cette aspiration vieille d’un demi-siècle avec l’usage de rythmes électroniques « purs », directement inspirés des dancefloors modernes (on pense à Gang Gang Dance, qui avaient jadis joué pour les mêmes organisateurs que ce soir), peu ont réussi à donner un air aussi évident et surtout irrésistible au mélange entre musique psychédélique et techno, car de techno il s’agit bien ici.


Depuis les perturbantes heures de la scène de Vancouver (Skinny Puppy, Download, Hilt, Tear Garden... Melodic Energy Commission), voire depuis l’émulsion pré-Do It Yourself des villes industrielles du nord de l’Angleterre (avec Cabaret Voltaire et Throbbing Gristle), l’idée d’un psychédélisme « crade » et les instruments électroniques s’attiraient dans un rougeoiement permanent.  Désormais, beaucoup de ces tentatives alchimiques seront jugées à l’aune de Bear Bones, Lay Low, du moins sur scène... On attend avidement un album n’ayant pas peur de déployer la même ferveur païenne, quitte à ce que ce soit sur une seule piste.