samedi 10 février 2018

Bear Bones, Lay Low, samedi 3 février, quelque part à Lyon







Il est plus de quatre heures du matin quand Bear Bones, Lay Low commence, d’abord tout en douceur, le stupéfiant crescendo qui sera son set live, dans ce lieu peu éclairé et où la fumée a déjà gommé contours et angles saillants. Ayant déjà vu l’artiste se produire dans un autre lieu secret de Lyon, au nom d’archipel, il y a quelques mois de ça, je savais qu’il fallait s’attendre à de spectaculaires variations d’intensités, et ce sans rupture véritable. En fait, Bear Bones, Lay Low s’arme de la puissance de feu à la fois patiente et paroxystique d’un set de techno la plus organique possible pour tisser une trame dont le grain sonore est tout le contraire d’un set de « musique de club » : ici, pas de séparation bien propre des aigus, medium et basses, tout concourt à la transe dans une fête qui fusionne boucles hypnotiques et parfois saccadés et ondulations revêches des sons de claviers, plus proche du brouhaha grisant du space rock que de ce qu’on imagine derrière l’expression « son de clavier ».


Dans l’underground, toute fusion de matière est permise et bienvenue, et le golem qui en résulte est parfois plus souple et naturel que le spectre du « vrai » rock psyché, perpétuellement ranimé à coup de sempiternelles guitares et de voix hirsutes. Chez Bear Bones, Lay Low, les coutures du corps du Frankenstein sont invisibles, et sa couleur moisie semble absolument invisible dans le mouvement de la danse qu’entraîne la musique. Sans forcément parler d’une absolue nouveauté, on sera bien en peine de déceler des influences dans la musique de Ernesto González, seul membre du projet Bear Bones Lay Low, et ancien claviériste et percussionniste du groupe de psyché Sylvester Anfang II, dont le nom résumait déjà une partie du programme brumeux et caverneux : une secte entre Amon Duul II pour la musique et le black metal pour l’imagerie.


Sans son ex-groupe, Ernesto construit des sets de longue montée d’intensité ininterrompus, les rythmes tribaux s’agrippant à la durée comme des plantes grimpantes, et les multiples samples à l’origine imperceptible (films ? instruments traditionnels ? fields recordings ?) s’offrant aux oreilles persistantes telles des grappes de gui. Le résultat conduit beaucoup de corps présents à s’agglutiner autour du monticule de machines d’Ernesto, et à former un cordon de rave party format réduit, ondulant au gré de très longues divagations cosmiques qui complètent cette trop dédaignée lignée des artistes psychédéliques ouverts sur la danse : Neu, Harmonia, AR & Machines, Can, Rovo, Caribou, Gong, King Gizzard, et bien sûr les pionniers de San Francisco, qui n’envisageaient pas de faire décoller leur public sans le faire remuer.


Si certains rares groupes ont réussi à cumuler cette aspiration vieille d’un demi-siècle avec l’usage de rythmes électroniques « purs », directement inspirés des dancefloors modernes (on pense à Gang Gang Dance, qui avaient jadis joué pour les mêmes organisateurs que ce soir), peu ont réussi à donner un air aussi évident et surtout irrésistible au mélange entre musique psychédélique et techno, car de techno il s’agit bien ici.


Depuis les perturbantes heures de la scène de Vancouver (Skinny Puppy, Download, Hilt, Tear Garden... Melodic Energy Commission), voire depuis l’émulsion pré-Do It Yourself des villes industrielles du nord de l’Angleterre (avec Cabaret Voltaire et Throbbing Gristle), l’idée d’un psychédélisme « crade » et les instruments électroniques s’attiraient dans un rougeoiement permanent.  Désormais, beaucoup de ces tentatives alchimiques seront jugées à l’aune de Bear Bones, Lay Low, du moins sur scène... On attend avidement un album n’ayant pas peur de déployer la même ferveur païenne, quitte à ce que ce soit sur une seule piste.





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